Écritures confinées
En ces temps de confinement, alors que tous, nous nous retrouvons à arpenter et redécouvrir les mètres carrés qui composent notre maison ou appartement, il était nécessaire de trouver une manière de s’évader d’un quotidien qui, en nous confinant, risquerait de nous enfermer mentalement.
De la Boîte à Rêves, un mot glissa.
Flottant dans le vent, comme feuille de chêne en automne,
il atterrit au pied d’un passant.
Alors que celui-ci le lisait, le mot s’enflamma,
ouvrant la porte de l’imaginaire au récit que voilà…
Prologue des Écritures confinées
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L’histoire du projet
Cette série de courtes fictions a vu le jour grâce à une collaboration entre Loïc Vanden Bemden (Da Vinci Production) et Jessy Compper (La Force d’un Rêve).
En septembre 2019, Jessy a ouvert son établissement, La Force d’un Rêve, et a laissé une Boîte à Rêves à disposition des clients. Au fur et à mesure, ceux-ci y ont glissé des petits mots avec leurs espoirs, leurs envies ou leurs souhaits.
De son côté, Loïc est, entre autres, acteur, improvisateur et puis animateur à l’Arrêt 59. Il avait déjà écrit pour plusieurs de ses propres projets théâtraux réalisés avec Da Vinci Production. A l’aube du confinement, il voit l’écriture comme une manière de combattre l’enfermement et décide de la travailler régulièrement.
Loïc et Jessy se connaissent depuis quelques années. Ils avaient prévu initialement de proposer un concept d’improvisation dédié à La Force d’un Rêve ce 1er mai 2020. Celui-ci n’aura finalement pas lieu, mais ils n’ont pas abandonné pour autant leur souhait de travailler ensemble et ils proposent en contrepartie ces courtes fictions, écrites par Loïc et inspirées des mots déposés dans la Boîte à Rêves de Jessy, comme une autre manière de découvrir l’imaginaire qui peut peupler les improvisations.

Pour l’instant, ces fictions sont mises séparément en page par Loïc et elles sont imprimées par Jessy afin de les distribuer avec ces brunchs à emporter du week-end. Il n’y a pas d’autres manières de diffusion envisagées actuellement.
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La série des Écritures Confinées
La série des Écritures Confinées est actuellement composée de …
- # 1 – Il écrivait
- # 2 – Mélusine
- # 3 – La route
- # 4 – L’ambassadeur
- # 5 – Siempre regreso
- # 6 – La contraction
# 1 – Il écrivait
Si vous deviez enfin trouver l’amour, à quoi est-ce qu’il ressemblerait ?
Il écrivait.
Au dernier étage de la tour la plus haute, géante parmi les autres, fleurtant avec les nuages et vivant au côté du soleil, il écrivait sur le monde, sur son existence, sur les jours qui succédaient aux nuits et les nuits qui succédaient aux jours. Assis seul, entre quatre murs blancs qui ne contenaient qu’une simple table pour écrire, une chaise et lui-même, seul le bruit des signes déposés se laissait entendre au fur et à mesure que le temps passait.
Chaque fois qu’il souhaitait aligner un signe après tous les autres, il entendait ce petit cliquetis hypnotisant qui l’aidait à rester concentré. Hormis cela, seul un silence pensant se faisait entendre. Un silence pensant, oui, car c’est ce qu’il croyait. Il était persuadé que le silence était capable de lui répondre, même s’il était tout aussi possible qu’il s’agisse de l’écho de sa propre pensée renvoyée par les quatre murs blancs.
…
# 2 – Mélusine
Accoucheuse au Moyen-Age, une vie pas si facile…
Cavalcade. Humidité d’une nuit déjà avancée, ombres projetées par le feuillage de la forêt sur la route. Une branche trop proche de son visage lui arracha la capuche qu’elle portait, laissant des cheveux rouge feu voler dans le vent. Il semblait que la nature elle-même souhaitait rendre sa fuite encore plus difficile.
Ses poursuivants ne la lâchaient pas, malgré qu’elle ait pris la route de l’oubli, un raccourci menant vers le comté voisin. Mélusine continuait d’entendre les chiens aboyer alors qu’ils la traquaient, l’odeur de ses propres vêtements ne leur laissant aucun doute sur le chemin qu’elle prenait.
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# 3 – La route
Voyager, l’envie de marcher, loin, loin…
« C’était un plaisir de vous avoir rencontré Nicolas ! »
« Merci. Merci pour le trajet, c’était un plaisir aussi. »
La porte avant d’une voiture qui s’ouvre, puis qui se referme. La porte arrière qui s’ouvre. Un baluchon en sort. La porte arrière se referme. Un signe de main à travers la vitre. Imité, de l’autre côté de cette même vitre. Le bruit d’une voiture qui démarre.
Le retour au silence de la route. Un moment d’attente. Un temps suspendu, semblable à une éternité pour ceux qui pourraient regarder cette scène, mais seulement l’espace d’un bref instant, bien nécessaire avant de repartir, pour le jeune homme qui est en train de vivre cette histoire.
Des oiseaux, passant dans le ciel, interrompent cette suspension. Le temps reprend son court.
« Pourquoi je fais ça ? »
…
# 4 – L’ambassadeur
Avez-vous déjà rêvé d’à quoi ressemblerait l’humanité de demain?
« Alerte de catégorie quatre, je répète alerte de catégorie quatre. Tout l’équipage spécialisé est demandé en salle de commandement. Aucun retard ne sera toléré. »
Le nez de John heurta durement le sol en béton de sa cabine. La voix de l’officier, sortie du haut-parleur incrusté dans le mur, et surmontant la porte d’entrée, l’avait réveillé brusquement. En s’empêtrant dans les draps, il en avait oublié qu’il dormait sur la couchette supérieure. Basculant par-dessus la rambarde de son lit, il avait atterri la tête la première. Il se releva douloureusement et courut chercher ses affaires dans la salle de bain juste à côté. Un regard dans le miroir lui apprit que son nez n’avait pas résisté au choc, du sang coulait abondamment de celui-ci. Il arracha une poignée de papier toilette du rouleau qui pendait et se le fourra dans les narines tant bien que mal. Enfilant pantalon et chaussures, sans prendre le temps de changer de sous-vêtements, il sortit, tout en passant un bras dans sa chemise.
…
# 5 – Siempre regreso
Revenir chez soi… mais où?
Personne. Le soleil se couchait et il n’y avait aucune voile à l’horizon. Elle savait que ça ne serait pas encore pour aujourd’hui. Le temps commençait à être long. Et le soleil, seul dans le ciel, occupé à franchir la frontière vers l’autre monde, semblait lui renvoyer sa solitude. Cela allait faire un an.
Avec un soupir, Elena détourna son regard du large et se mit en route pour redescendre la colline. En cette fin d’été torride, le chemin qu’elle empruntait serpentait à travers une nature jaunie, sèche comme la paille, pour rejoindre le petit village espagnol qu’elle habitait. Composé d’une dizaine de maisonnées à peine, il était majoritairement constitué de femmes et d’enfants. Les ruelles, habituellement occupées par les enfants qui jouaient, étaient désertes à cette heure. Elle traversa la petite place, symbolisant le centre du village, et au milieu de laquelle une fontaine, ornée de poissons virevoltants, trônait. Le bruit caractéristique et habituel de l’eau jaillissant de la bouche des poissons ne s’était plus fait entendre depuis plusieurs jours déjà et les habitantes priaient chaque soir pour que la sécheresse s’interrompe et qu’une pluie vienne abreuver le bétail et raviver les cultures. Ce n’était pourtant pas cela qui préoccupait Elena, quand elle atteignit finalement la porte de sa petite maison, toute faite de pierres et située à l’autre extrémité du village par rapport à la côte, d’où elle était partie.
…
#6 – La contraction
Avoir son permis de conduire, dans un monde post-apocalyptique?
Silence sur la plaine sableuse. Au loin, une chaine de montages se découpait sur le ciel bleu azur. L’air était étouffant à tel point que des ondes de chaleur se dessinaient dans l’air. Un rare vent chaud venait à l’occasion souffler sur la plaine et envoyait voler la poussière en bourrasques irrespirables. Seul habitant des lieux, étendu de tout son long au-dessus d’un petit amas de pierres parmi lesquelles poussent quelques herbes sèches, un lézard se prélassait, immobile, profitant de la chaleur du soleil.
Puis, un mouvement. La queue du reptile s’agita. Il cligna des yeux et fit quelques pas, resta à l’affut un instant avant de finir par disparaître à l’abri des rocailles. A distance, un léger bruit se fit entendre. Semblable à un ronronnement régulier, il gagna rapidement en intensité alors qu’apparaissaient à l’horizon trois petits points laissant une trainée de poussière derrière eux. A mesure que ceux-ci s’approchaient, ils devinrent plus facilement identifiables. Trois engins rapides, aux couleurs différentes. Le premier, d’un bleu électrique, était composé d’un étrange assemblage entre la carrosserie d’une vieille coccinelle et les énormes roues d’un 4×4. Celui-ci était suivi de près par le second, plus classique. Une décapotable d’un jaune mordoré et dont l’ailette arrière lui donnait des allures de bolide. Enfin, un peu plus à l’écart, une moto aux reflets verts les accompagnait. Accrochée à celle-ci, un sidecar était encombré de tout un fatras recouvert d’une bâche brunie par la poussière.
…
